Molly la nuit

D’après le chapitre « Pénélope » du roman « Ulysse »
De James Joyce
Cie Protéiformes

Texte de James Joyce

Traduction de : Thiephaine Samoyault

Adaptation de Chloé chevalier et Pascal Papini

Avec : Chloé Chevalier

Mise en scène : Pascal Papini

Lumière Valérie : Foury

Présentation d’Ulysse de James Joyce

Ulysse est le roman phare de la littérature du XXème siècle. S’appuyant sur l’Odyssée d’Homère, le roman se passe la journée du 16 juin 1904, dans la ville de Dublin. En un jour Joyce trace une odyssée toute entière. Ce roman se découpe en 18 chapitres ayant chacun son style d’écriture. Il décrit une journée (extra) ordinaire de Léopold Bloom et se termine dans le lit conjugal avec le monologue de Molly Bloom.

Ce roman a donné à Dublin le « Bloomday » qui se déroule tout les 16 juin en hommage à Joyce et son œuvre.

Parler de ce roman exceptionnelle demanderai des pages de commentaires pour ce faire nous vous proposons des extraits d’un article de Valery Larbaud.

Valery Larbaud, extrait de « James Joyce » dans La Nouvelle Revue française,
(Il s’agit du texte d’une conférence donnée le 7 décembre 1921 à la Maison des Amis des Livres.)

Depuis deux ou trois ans James Joyce a obtenu, parmi les gens de lettres de sa génération, une notoriété extraordinaire. Aucun critique ne s’est encore occupé de son œuvre et c’est à peine si la partie la plus lettrée du public anglais et américain commence à entendre parler de lui ; mais il n’y a pas d’exagération à dire que, parmi les gens du métier, son nom est aussi connu et ses ouvrages aussi discutés que peuvent l’être, parmi les scientifiques, les noms et les théories de Freud ou de Einstein. Là, il est pour quelques-uns le plus grand des écrivains de langue anglaise actuellement vivants, l’égal de Swift, de Sterne et de Fielding, et tous ceux qui ont lu son Portrait de l’Artiste dans sa Jeunesse s’accordent, même lorsqu’ils sont de tendances tout opposées à celles de Joyce, pour reconnaître l’importance de cet ouvrage ; tandis que ceux qui ont pu lire les fragments d’Ulysse publiés dans une revue de New-York en 1919 et 1920 prévoient que la renommée et l’influence de James Joyce seront considérables. Cependant, si, d’autre part, vous allez demander à un Membre de la « Société (américaine) pour la Suppression du Vice » : Qui est James Joyce ? Vous recevrez la réponse suivante : C’est un Irlandais qui a écrit un ouvrage pornographique intitulé Ulysse que nous avons poursuivi avec succès en police correctionnelle lorsqu’il paraissait dans la Little Review de New-York.
(…)
[Ulysse] est homme, et le plus complètement humain de tous les héros du cycle épique, et c’est ce caractère qui lui a valu d’abord la sympathie du collégien ; puis peu à peu, en le rapprochant toujours davantage de lui-même, le poète adolescent a recréé cette humanité, ce caractère humain, comique et pathétique de son héros. Et en le recréant, il l’a placé dans les conditions d’existence qu’il avait sous les yeux, qui étaient les siennes : à Dublin, de nos jours, dans la complication de la vie moderne, et au milieu des croyances, des connaissances et des problèmes de notre temps.
Du moment qu’il recréait Ulysse, il devait, logiquement, recréer tous les personnages qui, dans l’Odyssée, tiennent de près ou de loin à Ulysse. De là à recréer une Odyssée à leur niveau, une Odyssée moderne, il n’y avait qu’un pas à franchir.
(…)
Ainsi chaque épisode traitera d’une science ou d’un art particulier, contiendra un symbole particulier, représentera un organe donné du corps humain, aura sa couleur particulière (comme dans la liturgie catholique), aura sa technique propre, et en temps qu’épisode, correspondra à une des heures de la journée.
Ce n’est pas tout, et dans chacun des panneaux ainsi divisés, l’auteur inscrit de nouveaux symboles plus particuliers, des correspondances.
Pour être plus clair, prenons un exemple : l’épisode IV des aventures. Son titre est Eole : le lieu où il se passe est la salle de rédaction d’un journal ; l’heure à laquelle il a lieu est midi ; l’organe auquel il correspond : le poumon ; l’art dont il traite : la rhétorique ; ses couleurs : le rouge ; sa figure symbolique : le rédacteur en chef ; sa technique : l’enthymème ; ses correspondances : un personnage qui correspond à l’Eole d’Homère ; l’inceste comparé au journalisme ; l’île flottante d’EoIe : la presse ; le personnage nommé Dignam, mort subitement trois jours avant et à l’enterrement duquel Léopold Bloom est allé, (ce qui constitue l’épisode de la descente au Hadès) : Elpénor.
(…)
Ce plan, qui ne se distingue pas du livre, qui en est la trame, en constitue un des aspects les plus curieux et les plus absorbants, car on ne peut pas manquer, si on lit Ulysse attentivement, de le découvrir peu à peu. Mais, quand on songe à sa rigidité et à la discipline à laquelle l’auteur s’est soumis, on se demande comment a pu sortir, de ce formidable travail d’agencement, une œuvre aussi vivante, aussi émouvante, aussi humaine.
Évidemment, cela vient de ce fait que l’auteur n’a jamais perdu de vue l’humanité de ses personnages, tout ce mélange de qualités et de défauts, de bassesse et de grandeur dont ils sont faits : l’homme, la créature de chair, parcourant sa petite journée. Mais c’est ce qu’on verra en lisant Ulysse.

Molly

Le monologue ou soliloque de Molly Bloom est le 18ème et dernier chapitre d’Ulysse, il est nommé Pénélope en parallèle à la figure mythique d’Homère.
Après « Les lauriers sont coupés » d’Edouard Dujardin, il est un des premiers monologues intérieurs de la littérature, c’est la première fois qu’un personnage se construit en se racontant.
Ce sont 50 pages sans point ni virgule, seulement quelques retours à la ligne donnent l’impression de huit phrases, comme huit longs souffles.
Ce chapitre est la pensée de Molly, pensées mélangeant ses doutes sur Léopold Bloom son mari, ses peurs, ses fantasmes et ses souvenirs de Gibraltar. Tous les méandres sont possibles, elle passe de son enfance au temps présent, de son premier amour à son amant, ses amis d’enfance et ses connaissances.
Molly a passé son enfance à Gibraltar, ayant perdu sa mère très tôt. Son père, officier de l’armée britannique, pourvoit à son éducation, accompagné par une gouvernante espagnole. Jeune fille elle arrive à Dublin où elle épouse Bloom.
Après un mariage heureux, son mari féru de politique, perd plusieurs emplois et se retrouve à vendre des annonces publicitaires dans un journal de Dublin. Vivant chichement, une carrière de chanteuse insatisfaisante, elle rêve d’une autre vie. Sa fille de 15 ans vient de quitter la maison pour partir faire des études. Sa solitude, sa jeunesse, sa vie de couple éteinte, un enfant mort, elle est comme engoncée dans cette société irlandaise du début du siècle, où la religion, et l’éducation prédominent. Pour autant, l’essor industriel et le lancement d’un nouveau mouvement irlandais (Sein Fein) sont le décor de son environnement.
Sa parole est avant tout la logorrhée d’une femme qui livre son intimité, ses peurs et ses désirs, dans une société où la morale tient une place prédominante. Aujourd’hui, dans ce monde en mutation, cette parole garde une modernité indéniable.

Bien que sans doute plus obscène qu’aucun des épisodes précédents, il me semble que Pénélope est une femme parfaitement saine, complète, amorale, amendable, fertilisable, déloyale, engageante, astucieuse, bornée, prudente, indifférente. Ich bin das Fleisch das stets bejaht. (je suis la chair qui toujours dit oui. Variation sur Goethe). Joyce

Episode 18 Pénélope (extrait de notes de la Pléiade de Jean Michel Rabaté )

Joyce se sert beaucoup des informations sur Pénélope les derniers livres de l’Odyssée, il y trouve des allusions à l’infidélité de Pénélope relative à la naissance de Pan, fils des amours d’Hermès et Pénélope selon certaines versions, ou les amours de Pénélope et de tous les prétendants réunis. Cela renforce l’idée, que Joyce reprend au livre de Samuel Butler, selon laquelle l’Odyssée n’a pas pu être écrit par un homme mais par une femme, dans la mesure ou c’est toujours le point de vue féminin qui y est représenté.

Une des particularités de cet épisode est son absence de ponctuation. Joyce a pu s’inspiré des lettre de sa femme Nora, effectivement sans ponctuation.
C’est que, pour la première fois dans la littérature mondiale, un personnage se construit entièrement en se disant, il n’y a pratiquement pas d’action dans cet épisode, Molly se contente de quitter un moment son lit pour s’accroupir sur son pot de chambre lorsqu’elle sent venir ses règles, puis se recouche. La ruse de Joyce a constitué à justifier son monologue apparemment décousu dans son schéma homérique d’ensemble ainsi que dans sa progression textuelle et linguistique.
L’histoire de la composition le démontre, Joyce emploi systématiquement des énoncés contradictoires, si bien qu’il est généralement impossible de dire ce que Molly pense sur tel ou tel sujet.

« Joyce connaît l’âme féminine comme s’il était la grand-mère du diable. » Carl Gustav Jung.

Molly et l’envie d’en découdre

J’ai découvert le monologue de Molly Bloom quand j’étais élève au Conservatoire d’Avignon. Pascal Papini directeur de l’école à l’époque, proposa comme exercice de début d’année de nous emparer au choix d’un morceau du texte.
Des lors, il n’a cessé de m’accompagner.
J’ai continué à travailler des fragments dans les cours au Conservatoire Supérieur de Paris, ou lors de rencontre au JTN avec divers metteurs en scène.
Puis l’envie de le « monter » est née.
L’envie de se plonger pour de bon dans cette œuvre étonnante, de partir à l’aventure de cette grande fresque littéraire.
Je ne comprenais sans doute pas encore la moitié de son envergure mais j’y revenais toujours aussi fascinée. Il a fallu des mois de travail de table, de dramaturgie pour appréhender justement cette parole.
Bien sur s’attaquer à une tel œuvre est un défit personnel d’actrice. La volonté n’étant pas d’incarner Molly Bloom mais de tenter l’exercice complexe d’errance de la pensée.
C’est le plaisir de se rendre au service de la pensée de Molly tout en gardant la vivacité nécessaire que requiert le présent du théâtre.
J’aime ce texte pour la modernité de sa pensée, pourtant écrit en 1921, comme si le personnage de Molly était ma contemporaine.
Exilée de sa propre enfance, Molly tout comme les personnage de Joyce, cherche la beauté qui n’est pas encore ou celle qui fut.
J’ai demandé à Pascal Papini de m’accompagner dans ce projet. Nous avons passé plusieurs semaines studieuses sur le texte, à relire tout Joyce et particulièrement Ulysse, pour décider enfin la route que nous allions prendre.

Chloé Chevalier

« Le théâtre doit être une sentinelle imprenable » Antoine Vitez

Note de scénographie

L’endroit d’où la parole naît dans le roman de Joyce est le lit qu’elle partage avec Léopold avec qui elle dort tête bêche. Il est vers deux heure du matin.

Le lit évidemment à une importance primordiale, mais il sera signifié simplement comme une simple couche et servira dans l’espace d’un effet d’éloignement, de solitude, le lieu où la fable commence et se finira.
Léopold sera présent comme un trompe l’œil encore plus loin que le lit, c’est une présence/absence, il est là et on l’oubli.

L’espace sera mis dans une perspective qui permettra de jouer du premier plan de la parole vers le public qui est à la fois sa propre image et l’espace de l’interpellation.

Au centre du plateau, c’est l’espace du rêve du miroir déformant, de la féminité, du vêtement.

Note du metteur en scène

La première question est celle de la parole. Comment rendre compte d’un rythme d’une pensée vagabonde en un rythme de parole. Pensée à voix haute, adresse à l’autre (public) soi-même, en respectant cette essoufflement progressif de ces huit phrases sans ponctuation. Nous avons déjà fait des choix d’adresse et nous oscillions sans cesse entre cette pensée à voix haute et cette adresse publique, pour cela la scénographie est déterminante.

Si ce texte est une des grandes pages de la littérature du XXème siècle, elle garde une pertinence dans ses propos, et l’on a faire à une écriture tout a fait contemporaine. Il s’agit de jouer l’immédiateté de cette parole, de jouer de la parole légèrement déformée par le son comme différent registre. Légère déformation de la silhouette en changeant les plan de jeu, comme pour jouer de gros plan et de présence du spectateur et de s’en éloigner pour lui laisser sa place de spectateur/voyeur.

Le texte in extenso de ce monologue à une durée de deux heures trente, nous en avons fait une adaptation dans nos résidences passée et nous proposons un voyage d’environ une heure trente. Nous en avons gardé tous ses méandres et sa saveur, et nous avons retiré une grande partie des références liées au roman, qui n’auraient pu être comprises que par des connaisseurs avertis de l’œuvre.

Pascal Papini

CV Chloé Chevalier

Chloé Chevalier obtient en 2004 le Diplôme d’Etudes Théâtrales du Conservatoire d’art dramatique du Grand Avignon sous la direction de Pascal Papini et Eric Jakobiak.
Elle écrit et joue En attendant les beaux jours ou une tragédie du bonheur.
Elle joue dans L’Opéra de Quat’ sous de B. Brecht, mis en scène par Pascal Papini.
En 2005, elle intègre le Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de la ville de Paris avec comme professeurs, entre autres, Dominique Valadié, Andrzej Seweryn, Daniel Mesguich et Caroline Marcadé… Elle est diplômée du CNSAD en 2008.
En 2009, elle joue dans Sainte Jeanne des abattoirs de B. Brecht, mis en scène par Bernard Sobel à la MC 93 Bobigny et au CDN de Dijon Bourgogne, puis dans Baal, du même auteur, mis en scène par Jean-François Matignon.
Ensuite elle joue dans T.D.M 3 et dans Gibiers du temps de Didier Georges Gabily sous la direction de Mathieu Boisliveau et dans Pylade de Pier Paolo Pasolini, mise en scène de Damier Houssier.
Elle travaille avec la compagnie du hasard objectif et joue dans Les deux nobles cousins de Shakespeare au Théâtre 13, mis en scène par Sarah Llorca.
Elle travaille actuellement à l’adaptation et la création du monologue de Molly Bloom de James Joyce.

 

La compagnie Protéiformes

Protéiformes est un rassemblement de personnes qui souhaitent accompagner la création et la diffusion d’artistes porteurs de projets. C’est la volonté d’inventer une coopération d’énergies par le fait de rassembler et de mutualiser les besoins structurels et développer des échanges artistiques. Cette association a pour objet:
La création, la production et la promotion de spectacles vivants ou de réalisations audiovisuelles,
La diffusion de ces œuvres,
La formation aux métiers du spectacle et l’édition.
Le siège social de l’association est à 31000 Toulouse.

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